Opéra Éclaté entre Éauze et Paris

Eric Perez et Olivier Desbordes
Photo prise par Alexandre Calleau

Opéra Éclaté fait découvrir l’art lyrique aux publics les plus diversifiés depuis 1985, dans les territoires ruraux comme dans de grandes villes, en élargissant le répertoire afin de toucher le plus grand nombre. Nous avons rencontré Olivier Desbordes, créateur et directeur artistique de la compagnie, et le metteur en scène et chanteur Eric Perez, au lendemain d’une représentation de Carmen Al-Andalus donnée au Hall des expositions d’Éauze. Dans un fabuleux mélange des genres et des cultures, la commune du Gers affichera cette année, pour sa troisième manifestation estivale et parmi d’autres propositions, La belle Hélène de Jacques Offenbach le 13 août, dans une mise en scène d’Olivier Desbordes et La flûte enchantée de Mozart le 15 août, dans la vision d’Eric Perez, qui joue dans Tout le monde il est…Jean Yanne du 3 février au 31 mars au Théâtre du funambule à Paris. Ces spectacles, présentés dans une ambiance chaleureuse, sont aussi programmés dans le cadre des tournées d’Opéra Éclaté.


  Orchestre Mare Nostrum, à la fin de la représentation de «Carmen Al-Andalus» à Éauze
   Photo prise par Alexandre Calleau

«Carmen Al-Andalus, où nous nous sommes amuséscomme des fous, dans le bonheur d’être là. »

Opéra Éclaté a présenté en août 2023 sa seconde manifestation estivale à Éauze. Quelles en sont vos plus grandes joies?

Olivier Desbordes : Nous sommes arrivés sur un terrain vierge, où nous devons toujours continuer à travailler en faisant des propositions populaires, destinées au public le plus large possible. Michel Gabas, maire d’Éauze, a choisi la culture pour dynamiser un village où tout est à construire, ce qui est passionnant. Nous espérons trouver un accord avec la ville thermale de Barbotan, située à proximité, afin d’élargir et de diversifier ce public. Parmi les spectacles que nous présentons en tournée, Poète…vos papiers, autour de chansons de Léo Ferré, s’inscrit parfaitement dans une programmation hivernale, pour explorer la poésie française avec les collèges du secteur. Nous allons affiner notre projet l’été prochain en programmant une opérette, porte d’entrée moins imposante vers l’art lyrique, en poursuivant la collaboration avec Yassine Benameur et le festival «Opéra des Landes».

Eric Perez : J’ai été très touché par une représentation particulièrement émouvante du Cosi fan tutti de Mozart que nous avons présenté à Éauze durant l’été 2022, mais aussi par la reprise de Music-Hall Burlesque, où nous nous sommes régalés cet été.

Olivier Desbordes : Ma grande joie de cette édition 2023 était notre Carmen Al-Andalus, où nous nous sommes amusés comme des fous, dans le bonheur d’être là.


Olivier Desbordes et Michel Gabas, maire d’Éauze
Photo prise par Alexandre Calleau

«Elle me fait aussi penser à Maria Callas dans Médée de Pasolini.»

Olivier, comment présenteriez-vous justement cette Carmen Al-Andalus, dont vous signez la mise en scène ainsi que le livret, d’après l’opéra de Georges Bizet et la nouvelle de Prosper Mérimée ?

Olivier Desbordes : Ce spectacle s’est construit en plusieurs étapes depuis sa création à Marrakech en 2001. La première version juxtaposait avant tout la musique marocaine et des pages traditionnelles de l’opéra de Bizet. Ces deux composantes ont fusionné aujourd’hui, notre désir ayant évolué vers l’essence et la vérité des personnages, que nous cherchons tous ensemble dans un esprit de troupe. La toile peinte d’Azziz Lkhattaf, aux couleurs du pays natal de l’artiste, nous accompagne depuis les premières représentations.

Eric Perez : J’étais assistant sur ce spectacle de 2001 et ce fut une révélation. Je suis très vite devenu metteur en scène ensuite, grâce à cette Carmen.


« Carmen Al-Andalus » avec Ahlima Mhamdi
Photo prise par Matéo Beauché

Olivier Desbordes : Dans ce contexte marocain et espagnol, nous construisons le portrait d’une femme libre, exigeante, dont les hommes ne sont pas à la hauteur. Carmen a en effet une vision idéale et intransigeante de l’amour, les autres ne parvenant pas à la suivre. Elle fait ses choix et décide de sa mort dans ma mise en scène, son apothéose évoquant les grandes figures tragiques de Lucia di Lammermoor ou de Traviata. Elle me fait aussi penser à Maria Callas dans Médée de Pasolini. Je me suis emparé de cette œuvre pour aller au fond de choses que l’on peut trouver dans la vie. C’est ainsi que Carmen ne subit pas les cartes comme une victime, mais elle les transcende dans une forme de libération, en souriant sur son air, le visage lumineux et fier, assumant sa décision. Le chœur rappelle celui du théâtre antique, observant l’action et convergeant ses regards sur la protagoniste. L’orchestre, personnage à part entière, n’est pas dirigé par un chef, les musiciens intervenant en solo sur des improvisations à durées variables. La partition mêle les références arabo-andalouses, les palmas* du début comme le cercle autour du conteur évoquent Marrakech, tandis que les improvisations en arabe se superposent à des détails ethniques du nord du Maroc dans les costumes. Dans cette ferveur méditerranéenne, une femme fait ce qu’elle veut, quand elle le veut…

*Les palmas sont des claquements de mains pour accompagner le chant dans la musique arabo-andalouse


Yassine Benameur et Ahlima Mhamdi
Photo prise par Alexandre Calleau

«Fréhel, une chanteuse réaliste de l’entre-deux guerres qui a traîné dans tous les ports de la méditerranée pour oublier un chagrin d’amour.»

Eric, dans une même dynamique d’ouverture, vous avez chanté, avec Yassine Benameur et Sonia Skouri, un programme librement inspiré de la nouvelle d’Elissa Rhaïs, Le café chantant, sous le titre Cabaret de la méditerranée, sous les platanes de la cour de la médiathèque d’Éauze.Que représente pour vous ce concert?

Eric Perez : L’idée est née en 2003 afin de mélanger toutes les influences musicales autour du bassin méditerranéen. Nous avions alors imaginé l’itinéraire de marins entendant des chansons et les transformant d’un port à l’autre. Tout un métissage s’opère ainsi dans un art vivant et populaire, la musique circulant et brassant les influences. Je chante en catalan la traduction d’un poète grec, mais aussi un tango argentin venant des italiens, dont les rythmes trouvent leurs sources en Afrique. Fréhel, une chanteuse réaliste de l’entre-deux guerres qui a traîné dans tous les ports de la méditerranée pour oublier un chagrin d’amour, a contribué à ce croisement de cultures que nous restituons dans ce concert.


Eric Perez, Yassine Benameur et Sonia Skouri dans «Cabaret de la Méditerranée»
Photo prise par Alexandre Calleau

«Ce misanthrope optimiste, dont les propos dérangeants me font beaucoup rire.»

Quels sont les autres spectacles qui vous tiennent particulièrement à cœur ?

Eric Perez : Je me réjouis de jouer Tout le monde il est…Jean Yanne avec Anne Cadilhac à Paris, mais aussi à Nevers le 9 février, et j’aimerais beaucoup le reprendre ailleurs en tournée. L’acteur et ses chansons ont en effet été oubliés, et nous sommes loin aujourd’hui du côté subversif des années 70, mais j’aime beaucoup ce misanthrope optimiste, dont les propos dérangeants me font beaucoup rire. Le spectacle Poète…vos papiers!, sur des chansons de Léo Ferré avec des musiciens de jazz, me tient également beaucoup à cœur. La reprise de ma mise en scène de La flûte enchantée à l’Opéra de Reims en mai 2023 a été une belle expérience humaine et musicale, dans une très bonne ambiance. Nous avons refait à cette occasion le décor du spectacle présenté au Festival de Saint-Céré en 2009.

Olivier Desbordes : Je serais très heureux de reprendre un spectacle que j’ai présenté à l’Opéra de Toulon il y a deux ans, Mayol, le prince de la chanson. Il s’agit d’une comédie musicale avec des chorégraphies, rendant hommage à une grande figure du café-concert au début du XX eme siècle : un spectacle adorable qui me surprend moi-même ! J’aimerais aussi que Music-Hall Burlesque soit joué à Paris ou à Avignon.


« Carmen Al-Andalus »
Photo prise par Matéo Beauché

«Ces quelques jours autour de la joie de vivre et de chanter»

Opéra Éclaté est également présent à Gramat, dans le Lot, depuis 2022 pour une programmation de six jours fin juillet début août. Comment souhaitez-vous voir évoluer ce festival?

Olivier Desbordes : Ce festival est né à la demande de la mairie de Gramat. Nous allons continuer ces quelques jours autour de la joie de vivre et de chanter en élargissant le panel des artistes pour découvrir d’autres univers. Poète…vos papiers! y est repris cet hiver, en relation avec un collège.

Vous êtes l’un et l’autre très attachés au mélange des genres et des répertoires, dans un esprit joyeux et festif. En quoi est-ce une nécessité dans le monde que nous traversons ?

Olivier Desbordes : C’est le seul moyen pour faire une bonne transmission, en allant vers les gens et en les incitant à être curieux et à s’ouvrir à d’autres cultures. Nous nous y engageons à fond, parce que nous n’avons qu’une vie…

Avec nos remerciements à l’équipe de l’Hôtel Henri IV, à Éauze, où s’est déroulé cet entretien

Propos recueillis par Christophe Gervot, le 13 août 2023


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